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LE MONDE / 29 Mai 1999 / Page 30

AUJOURD'HUI

Les rayons cosmiques de haute énergie défient toujours les astronomes

Des milliers de piscines pour remonter les cascades de particules
 

Deux observatoires géants, un dans chaque hémisphère, vont être construits


 

     " NOUS SOMMES au seuil d'une nouvelle astronomie où la lumière observée par nos télescopes n'a rien d'un rayonnement électromagnétique comme les ondes radio, la lumière visible ou le rayonnement gamma, mais est faite de particules, de protons et de noyaux d'atome ", assure James Cronin. Parce que ces bouffées de particules sont d'une énergie incroyable, parce que l'on ne sait toujours pas quels cataclysmes cosmiques les ont produites, parce que l'on n'est pas capable d'identifier leur origine, " nous devons, poursuit le Prix Nobel de physique 1980, construire deux observatoires géants, l'un dans l'hémisphère Nord et l'autre dans l'hémisphère Sud, pour découvrir l'origine de ces bouffées de rayons cosmiques " d'une rare violence.

Après bien des discussions, les institutions de dix-neuf pays, dont la France, se sont enfin entendues pour réaliser ce grand projet de deux fois 50 millions de dollars (47,6 millions d'euros), le PAO, qui porte le nom du physicien français Pierre Auger. La France, et plus particulièrement le CNRS, devrait participer pour 13,5 millions de francs (2,06 millions d'euros) à cet observatoire via l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), l'Institut national des sciences de l'univers (INSU), le département des sciences physiques et mathématiques, le département des sciences pour l'ingénieur et l'Ecole supérieure de télécommunications.

Le PAO est fait d'un ensemble de deux observatoires qui devraient être respectivement opérationnels en 2003 et 2005. Mais de toutes premières observations devraient pouvoir être menées en 2000- 2001 depuis l'hémisphère Sud, où il n'existe pas un seul détecteur de ces événements. Le premier va être construit en Argentine près de la ville de Mendoza et le second, si les premiers résultats sont encourageants, aux Etats-Unis, dans le comté de Millard (Utah), près de Salt Lake City. " YEUX DE MOUCHE "

Sur le papier, ce projet apparaît comme une succession de piscines dispersées sur le terrain selon de vagues lignes géométriques. " Le projet est si vaste, s'émerveillent Murat Boratav (université Paris-VI) et Antoine Letessier- Selvon (unité mixte CNRS- universités Paris-VI et VII), qu'il occupera au sol une surface équivalente à celle d'un département français. "

Six mille kilomètres carrés de détecteurs répartis sur les deux sites. Mille six cents détecteurs par observatoire et donc autant de piscines remplies de 11 à 12 tonnes d'une eau très pure dans laquelle se manifeste l'effet Cérenkov, qui trahit indirectement le passage de ces particules invisibles dans cette masse d'eau. " C'est de la mégascience, mais on ne sait pas faire autrement. " " Lorsqu'un rayon cosmique de très grande énergie ", d'environ 1019 électrons-volts (1 suivi de 19 zéros) pour parler le langage des physiciens, " frappe l'atmosphère, il génère alors, explique Antoine Letessier-Selvon, une cascade de particules secondaires qui arrivent jusqu'au sol. " Pour une de ces particules " mères " arrivant de l'espace, entre 10 et 100 milliards de particules secondaires atteignent le sol dans un cercle de 10 kilomètres carrés. Preuve de cette abondance, l'événement record de 1991 a sans doute engendré 200 milliards de particules filles.

Il " suffit " alors de remonter la chaîne de production de ces particules secondaires pour reconstituer la gerbe et la direction de la particule qui les a fait naître. Comme cela n'est pas suffisant, les promoteurs du projet ont décidé de s'adjoindre aussi les services de trois autres instruments de mesure, des " yeux de mouche ", dont l'acuité est telle que, par des nuits sans lune, il est possible d'observer jusqu'à 20 kilomètres de distance la trace de ces particules dans l'atmosphère.

En effet, lors de leur passage à très grande vitesse, elles " ionisent " les molécules d'azote qui, bousculées, réémettent en revenant au repos une lumière ultraviolette très intense, que les " yeux de mouche " peuvent détecter. Ne reste plus alors qu'à croiser les informations pour avoir une image complète de la cascade ainsi formée et une idée - du moins, c'est ce qu'espèrent les initiateurs du projet - de la direction d'où venait la particule qui l'a engendrée.

Mais jusqu'ici, dès que les astronomes ont pointé leurs télescopes dans la direction indiquée, ils n'ont vu que du noir. Pas le moindre objet astronomique connu pouvant expliquer l'origine de ces particules, dont on pense, pour l'instant, que les sources sont relativement proches et situées à environ 150 millions d'années-lumière de notre galaxie.

JEAN-FRANCOIS AUGEREAU



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